JEAN-PAUL MARAT (17)
Jean-Paul Marat, les Chaînes de l'esclavage
Des sourdes menées.
Ouvrage destiné à développer les noirs attentats des princes contre le peuple ; les ressorts secrets, les ruses, les menées, les artifices, les coups d'état qu'ils emploient pour détruire la liberté, et les scènes sanglantes qui accompagnent le despotisme.
Des sourdes menées.
(page 93 à 96)
Tandis que les peuples se livrent au sommeil, le prince qui se voit environné d'hommes peu soigneux d'éclairer sa conduite, entreprend de porter quelques coups à la liberté.
Pour sonder le terrain, il hasarde quelque proposition propre à favoriser ses vues secrètes. Si elle passe, c'est un fondement sur lequel il se hâte de bâtir. Si elle effarouche, il à recours à la ruse, & cherche à colorer ses desseins.
Pour le bien de l’État, ce beau prétexte, dont ceux qui gouvernent couvrent leurs projets ambitieux, est sans cesse dans sa bouche ; comme si le bonheur public lui tenait fort à cœur. Il demande qu'on se fie à sa bienveillance : puis, sans honte de se parjurer lâchement, il prend les Dieux à témoins de la pureté de ses intentions, de son respect pour les lois qu'il se dispose à violer ; & les peuples ont la sottise de s'abandonner à ses serments.
D'autrefois il fait proposer par ses créatures, au nom des citoyens, les projets qu'il à en vue ; & la nation, séduite par l'apparence, donne encore dans le panneau. Ainsi, Pitt fit proposer par de prétendus patriotes, le projet d'une milice constante, & ce projet passa. Ainsi la cour fit depuis proposer, par d'autres prétendus patriotes, le projet d'une milice sur le pied des troupes réglées ; & malheur aux Anglais, si ce projet vient de même à passer.
Prêt à former quelqu'entreprise ouverte, pour distraire les esprits, le prince renouvelle les fêtes, les banquets, les spectacles ; il se concilie la confiance publique en remplissant quelqu'engagement, ou bien il livre les sujets aux fureurs du jeu (1).
Afin de disposer le peuple à recevoir Mazarin, le jour qu'il devait rentrer dans Paris, Louis XIV fit publier une ordonnance portant injonction au prévôt des marchands et aux échevins d'ouvrir incessamment leurs bureaux pour le paiement de l’arrérage des rentes sur l'hôtel de ville (2).
Lorsque ce même prince voulait porter quelque coup fatal à la liberté, il prodiguait les deniers publics en fêtes, en banquets, en tournois (3).
Que si le prince tente quelqu'entreprise périlleuse, il a soin de ruser & de se ménager des moyens de justification.
Charles II ayant formé le dessein de se rendre absolu, employa les artifices du duc de Landersdale pour engager le parlement d’Écosse à passer un acte qui autorisât le conseil Écossais à lever une nombreuse milice, & à l'employer dans l’État, sans qu'il fut besoin de recourir immédiatement au roi (4). Ainsi faisant sortir en apparence de ses mains cette soldatesque, pour la mettre dans celles de son conseil, Charles était le maître de la faire marcher quand il lui plairait contre l'Angleterre, sans paraître l'y avoir appelée ; & si la fortune venait à se déclarer contre lui, le blâme de cet attentat serait retombé sur le conseil.
Les sourdes menées, voilà le grand ressort de la politique des cabinets : ressort d'autant plus sûr, que ses funestes effets ne se faisant pas sentir à l'instant même, & l'indignation publique ne devançant jamais l'événement, les fripons au timon des affaires ont le temps de prévenir l'explosion de la fureur du peuple.
Jusqu'ici les coups portés à la liberté n'ont point alarmé la nation. Comme ces changements se sont faits par degrés, & que les mœurs nouvelles se sont établies sans violence, loin d'en avoir rien auguré de sinistre, le peuple à cru sentir accroître son bien être. Mais bientôt tout va changer de face : déjà ce ne sont plus des fêtes & des jeux ; de tristes scènes ont succédé ; les citoyens éclairés voient le danger qui les menace, & l'avenir ne leur offre plus qu'une désolante perspective.
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C'est un des grands principes de Machiavel, que pour commander à leur aise, les princes doivent posséder à fond l'art de tromper les hommes. « E necessario, dit-il dans son Prince, saper ben colorir ed esser gran simulatore e dissimulatore ; e sono tanto simplici gli huomini e tanto ubedienti alle necessita presenti, che colui chi ingauna trovera sempre chi si larcera ingannare. »
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Comme les démarches du gouvernement ne sont guère éclairées que par ceux qui environnent la cour, ces scènes de séduction se passent presque toujours dans la capitale.
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Histoire du cardinal Mazarin. vol. 4.
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Il en donna un magnifique le jour qu'il révoqua l'édit de Nantes. Volt. : siècle de Louis XIV.
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Rapin : hist. d'Ang.