BAL A LA COUR DE POMARE IV
Campagne des mers du Sud : Faite par le Seignelay de 1875 à 1879
PaulEmile Lafontaine (Auteur), Dominique Delord (Préface)
Présentation de l'éditeur :
Né en 1829 à Nieul, près de La Rochelle, PaulEmile Lafontaine fit carrière dans la marine marchande. A partir de 185o, il effectua divers voyages au long cours en Amérique du Sud et du Nord, en Asie, en Afrique et dans la Méditerranée. Il rédigea Campagne des mers du Sud sur Le Seignelay où il était officier. Ce croiseur navigua pendant quatre ans dans le Pacifique, de la Terre de Feu à San Francisco, avec de longues stations au Chili et au Pérou, mais il sillonna surtout l'Océanie. Républicain convaincu, résolument anticlérical, Lafontaine fut aux premières loges pour observer le développement enfiévré du Chili, le sort de l'Ile de Pâques, la prise de possession réussie de Tahiti ou de Futuna par la France... Son récit est également passionnant d'un point de vue ethnologique et sociologique : il assista aux fêtes de la reine Pomaré, il découvrit la vie misérable des Indiens de Terre de Feu. Anecdotes prises sur le vif et scènes cruellement cocasses : ce récit a l'étoffe des grands romans d'aventures.
CHAPITRE VIII
(Extrait de « Campagne des mers du Sud »)
Tahiti. Un bal à la cour de Pomaré IV.
Après l'inspection de l'amiral, qui n'eut de remarquable que l'ennui qu'elle nous causa, la reine nous convia à un grand bal donné en son palais de Papeete.
Le soir du bal, tous les officiers de marine en grande tenue se rendirent à neuf heures au palais, qui pour la circonstance avait été éclairé a giorno.
Nous trouvâmes la cour d'entrée du palais pleine de Canaques, hommes et femmes, en costume de cérémonie. Les hommes, habillés de feuillages et de fleurs de pandanus, étaient groupés à droite et à gauche sur trois rangs. Les femmes, plus au centre et bordant la grande allée qui donnait accès au palais, étaient accroupies ou assises dans l'herbe. Leur costume consistait en une longue robe ou tunique flottante, et la tête couronnée de fleurs et de réva-révas. Ces gens-là, au nombre de cinq cents, étaient les habitants de trois districts, que la reine avait convoqués pour chanter des chœurs, pendant l'intervalle des quadrilles; ce dont ils s'acquittèrent consciencieusement.
En entrant dans la grande salle du bal, nous allâmes présenter nos hommages à Sa Majesté Pomaré IV, qui était assise dans un superbe fauteuil doré, sous un dais en soie rouge, et flanquée de l'amiral Périgot, qui semblait avoir le désir d'être pris pour le roi.
Ce petit décor avait pas mal de rapport avec le trône du vice-roi de Lima, dans La Périchole !
Sa Majesté Pomaré IV est une vieille femme qui a passé la soixantaine. Elle a de
très beaux cheveux, jadis noirs, mais sur lesquels il a déjà beaucoup neigé. Elle est coiffée en papillotes, vêtue d'une ample robe de soie brune, et chaussée de satin violet. Cette vieille reine
a l'air très digne et majestueux, quoique très affable avec tout le monde.
Les invités du bal étaient en majorité des employés français, avec mesdames leurs épouses, puis venaient les dignitaires tahitiens, et les principaux commerçants de Papeete. Toutes les femmes étaient habillées avec un luxe extraordinaire, on aurait pu croire que tous ces gens-là étaient millionnaires (je parle des employés de l'État).
Je crois que la race humaine avait à ce bal des représentants de chaque pays, de chaque espèce, de chaque couleur. On n'avait que l'embarras du choix, entre le plus pur blanc de neige de la blonde Albion jusqu'au plus bel ébène de la côte d'Afrique.
Parmi les notabilités de ce bal, on pouvait citer les trois fils de la reine, en habit noir, cravate blanche, bas de soie, escarpins, et même des gants ! C'étaient MM. Ariiahué, Tamatoa et Teriitua.
Puis les brus de la reine, mises à la mode canaque: Mmes Marahu, femme d'Ariiahué; Moé, femme de Tamatoa; la femme de Teriitua, et enfin, Mme Joinville, qui est veuve d'un quatrième fils de Pomaré.
On remarquait beaucoup Mme Brander, une belle Canaque ayant passé la quarantaine, mais encore fort jolie et, de plus, puissamment riche ; c'est la femme du principal négociant anglais de la colonie. Mme Brander est un peu parente de la reine, par sa mère Mme Salmon; de plus elle est la sœur de Marahu, femme du prince héritier Ariiahué.
Dans un voyage que Mme Brander fit en Europe avec son mari, elle voulut être présentée à Sa Majesté Victoria, reine d'Angleterre - ayant elle même reçu, à Tahiti, son fils le prince Alfred, auquel elle avait offert une hospitalité plus qu'écossaise (disons hospitalité tahitienne). L'impératrice des Indes refusa de recevoir la millionnaire de l'Océanie. La cour des Tuileries fut plus gracieuse, et Mme Brander fut poliment accueillie par Sa Majesté l'impératrice Eugénie.
Le bal fut magnifique, autant par le luxe des toilettes que par la richesse des décors. Le souper lui-même était digne des premiers restaurateurs de Paris, on dansa et on joua jusqu'à cinq heures du matin.
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