Charles IX et sa tournée royale (2)
Le
voyage
Avant de partir, Catherine jugea bon de rassembler tout son entourage turbulent à Fontainebleau et de donner de grandes
fêtes.
Le 24 Janvier 1564 le coup de fouet est donné, donnant ainsi l'ordre de marche à la plus grande cavalcade, parade, cortège jamais organisé. Itinérante, la cour avec sa suite et ses impédimentas
offre aux yeux des badauds émerveillés, une représentation permanente, telle la parade d'un cirque (Peut-être bien, que plus tard, monsieur Barnum pour faire la sienne, a lu le récit de cette
épopée à la Catherine de Médicis).
Jugez plutôt. La reine emmenait avec elle ses trois enfants qui partageaient souvent son carrosse aussi vaste qu'une chambre, tendu de velours vert, avec banquettes et coussins. C'était une
grosse machine de plusieurs tonnes, traînée par six chevaux. Si elle versait, c'était la catastrophe, elle écrasait ses occupants. Dans le meilleur des cas, il fallait mobiliser cinquante hommes
pour la relever. Aussi allait-on prudemment. Chaque enfant avait sa suite personnelle, on disait sa maison. Après le carrosse de la reine, en qualité de lieutenant général du royaume suivait
celui du prince de Condé. Ce n'est pas tout, la reine disposait également de deux litières dorées de parade, couvertes et peintes de belles devises, portées par quatre mules chacune. Si le temps
le permettait, elle y donnait des audiences, couchée au grand air.
Ce genre de transport ne parait gracieux que sur les gravures
d'époque, en réalité les litières provoquaient le mal de mer. Quand la reine voulait se défouler elle chevauchait l'un de ses six magnifiques coursiers qui l'accompagnaient. Suivaient ses bagages
personnels, transportés dans d'innombrables coffres de cuir noir cloutés d'or : Les uns sur des chariots, les autres à dos de mulets en longue caravane. Elle avait fait suivre son lit démonté
qu'on remontait aux étapes, son linge de soie. Sa monumentale garde-robe, ses bassins d'argent, ses aiguières, sa vaisselle d'or et d'argent pour les banquets qu'elle donnerait dans les villes...
Des coffres contenant des chiens dits de chambre (dogues et levrettes), du matériel destiné aux tournois, des lances pour courir la bague, un arsenal de déguisements maures, grecs et albanais
pour les bals costumés et, bien entendu, des services de garde robe, des tapisseries et du mobilier, les costumes et les décors pour la comédie et les arcs de triomphe démontables pour les villes
de peu de moyens qui n'en possèdent pas.
Elle n'avait même pas oublié les barques en prévision des fêtes qu'elle offrait sur l'eau. Pour assurer la vie quotidienne à tout ce monde dans les meilleures conditions possible, plusieurs centaines de domestiques et de palefreniers faisaient partie du convoi. La reine emmenait aussi cinq médecins et cinq officiers des cuisines, cinq sommeliers et, pour l'accompagnement des plats, des musiciens. Des chars entiers lourdement chargés, véhiculaient le ravitaillement de cette ville ambulante quand on campait en rase campagne. Ces haltes, à cause des bandits, mais surtout des déserteurs mercenaires n'étaient pas sans danger. Aussi une véritable armée, quatre compagnies d'infanterie, une compagnie de chevau-légers et un régiment de gardes Françaises escortait le convoi. Pour la suite royale rien que huit mille chevaux, au milieu desquels se font remarquer deux mulets choisis pour porter les confitures de la reine. Les comptes, bien tenus, font apparaître que les chevaux y étaient mentionnés par leur nom, suivis du montant de leur entretien. Suivait également une suite de conseillers royaux, d'ambassadeurs qui font des rapports à leurs souverains. [On disait la France ruinée par la guerre civile, or, aucun souverain destinataire de ces rapports, ne pouvait soutenir cet impressionnant et démesuré barnum ambulant, le faste de cette cour, ses représentations et ses fêtes coûteuses]. Enfin venaient les accompagnateurs innombrables de la cour et du gouvernement, greffiers, secrétaires, moines, confesseurs, pages, garde Suisse, garde Écossaise.
Mais ce qui captive surtout l'attention outre le cortège de huit mille chevaux, ce
sont les ravissantes filles d'honneur de la reine-mère, ce fameux "escadron volant" qui, telles des Mata Hari avant l'heure, surprend les secrets d'État partout où ils se trouvent, dans des
discutions de lettres, d'art, de stratégie ou même par influence notoire, voire sur les oreillers avec les amants. Plus tard notre Henri de Navarre connaîtra intimement plusieurs de ces dames.
Cet escadron existait déjà sous Anne de Bretagne avec un nombre limité de filles à 70, ici, Catherine ne fera que voir plus grand, les historiens en dénombrent 300. Catherine veille sur ses
protégées qui ont tout à gagner hormis la considération, rang, argent, mariage, quelquefois les trois à la fois. Toutefois gare à celles qui s'écartent du droit chemin, Catherine surveille les
ventres arrondis, dans ce cas elles sont diligentées sur un couvent où elles resteront enfermées à vie. Ces filles, recrutées pour leur beauté, précieuses auxiliaires politiques, sur leurs
haquenées "Lamiraude" "Charenconnay" "Bressuire" "Montal" (ce sont les noms des montures), trottent gaiement derrière leur maîtresse. Chacune de ces déesses, ayant ses propres serviteurs.
Catherine, en bonne mère, invite souvent à bord de son chariot, Marguerite, ses frères et Henri de Navarre.
Toute cette caravane reposait sur les épaules d'un seul homme qui régentait absolument tout, Monsieur le grand Prévôt. Tel un métronome, à lui seul il régla la bonne marche de cette entreprise
haute en couleur, aucune erreur, aucun faux pas ne permit à ce général civil d'entrer dans l'histoire, et pourtant...
Tout était bien rodé, la marche, la sécurité, le ravitaillement en vivres, tant pour les hommes que pour les animaux (des chevaux au perroquet de Catherine). Tant sur routes ou chemins défoncés,
en rase campagne qu'à l'intérieur de murs étroits ou de villes plus grandes et puantes. Tout reposait sur ses épaules, y compris aux étapes, le logement chez l'habitant dans des conditions
"dignes et acceptables pour l'étiquette".
La populace était subjuguée, fascinée, elle se portait en masse sur les routes. Jamais elle n'avait vu telle chose, même dans ses rêves les plus fous basés sur la grande pompe des cérémonies religieuses (seule connue d'elle à ce jour), ce qu'elle voyait était autre chose que des habits liturgiques dans lesquels se reflétaient les flammes des cierges. Non, c'était du jamais vu, de la couleur, des chevaux par milliers, des carrosses, des cavaliers en tenue, des chars, des richesses inouïes, des belles filles, les grands du royaume, la famille royale et le roi, même s'il n'était pas toujours aperçu. Tel le tour de France avant l'heure, le bouche à oreille précède le passage, les populations des contrées lointaines se mettent en route, sur plusieurs jours, et ce, pour assister au passage de cette colonne, autant publicitaire, que propagandiste.
Du grand Catherine. Pas besoin de discours,
massés, entassés en familles, à chaque détour du chemin le roi était ovationné, applaudit par ce peuple miséreux auquel ce passage laissait comprendre qu'il n'était pas ignoré des grands.
Imperturbablement, à petite vitesse, le convoi avalait villages et villes pour atteindre les villes étapes. Cela avait un coût, et la ville sera certainement ruinée sur plusieurs années, mais ses
citoyens en avaient pour leur argent. On en parla longtemps dans les chaumières.
A l'avance Catherine avait tout prévu, itinéraire, mais aussi les alliances possibles avec des rendez-vous...
Mauvaise saison, le convoi s'enlise, patauge dans des chemins défoncés, on allait au pas et on ne s'arrêtait que pour désembourber.
Claude Saint Etienne
- Les images des deux tapisseries proviennent de "L'Histoire de France et des français" d'Alain Decaux et André Castelot (13 volumes).
- Les deux aquarelles proviennent de "Cortège historique des moyens de transport", dessins et aquarelles de A.Heins, texte de Edmond Cattier.
Le lien http://www.tassignon.be/trains/1835-1885/1835-1885.htm
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