DELTA BLUES
Le Delta, aspects régionaux :
(Extrait du livre "Le Blues authentique" de Robert Springer)
Ces conditions étaient plus manifestes encore dans le Delta, région nord-est de l'Etat du Mississippi qui nous intéresse au premier chef car c'est elle qui, selon la majorité des chercheurs, a donné naissance au blues. Cette région, dont la forme rappelle la lettre grecque « delta » et qu'il ne faut pas confondre avec le delta du fleuve, est une plaine alluviale comprise dans un triangle dont les pointes se situent à Marked Tree, dans l'Arkansas, Vicksburg et Durant et qui représente les bassins conjugués des rivières Yazoo et Tallahatchie et du Mississippi. Elle déborde sur l'Etat de l'Arkansas le long de la rive occidentale du fleuve.
L'esclavage y fut remplacé par un système plus féroce encore qu'ailleurs, où se mêlaient le métayage et le péonage, et dont le but évident était de conserver une main-d'œuvre nombreuse dans un état de quasi-servilité.
La pratique du métayage est bien connue qui permit au Sud, à une époque où l'argent était rare, de continuer à faire fonctionner son économie agricole à dominante cotonnière sans bourse délié. Dans un premier temps, les anciens esclaves y trouvèrent leur compte dans la mesure où l'Emancipation les avait livrés à eux-mêmes sans leur donner les moyens de vivre dignement leur liberté : les planteurs leur offraient non seulement des provisions mais aussi un toit. En réalité, le Noir n'avait guère le choix qu'entre la mendicité, la migration - du moins quand on ne l'en empêchait pas - et le métayage. Accepter un contrat de métayer était le plus court chemin vers la survie. C'est pourquoi les familles privées de leur chef par la mort ou la désertion mettaient à contribution tous leurs membres de crainte de se voir « dépossédées » et de se retrouver sans abri.
En 1925, dans le Delta, 90% des fermiers étaient des métayers. En théorie, ce système devait leur permettre d'acheter leur ferme au bout de quelques années de travail, mais les planteurs qui évaluaient souvent la récolte en fonction de ce qui leur était dû, ne leur en laissaient guère le loisir.
Le deuxième volet de la réalité post-esclavagiste était constitué par la pratique des travaux forcés pour dette ou pour vagabondage. Dès avant la fin de la guerre de Sécession, de nombreux ouvriers agricoles noirs furent contraints de signer les premiers contrats de travail qui étaient une façon de maintenir sur place jusqu'à la récolte une main-d'œuvre qui avait tendance à chercher ailleurs de meilleures conditions tant que ses espérances n'étaient pas satisfaites. Les Noirs sans terre et sans argent qui ne voulaient ou ne pouvaient pas devenir métayers n'avaient pratiquement d'autre ressource que de signer ces contrats annuels. « Ces accords, au début, perpétuèrent les pratiques en vigueur sous l'esclavage : la fourniture de soins médicaux et la nécessité d'une permission de l'employeur pour quitter la plantation » Les ouvriers qui rompaient leur contrat et étaient repris, comme c'était très fréquemment le cas, se voyaient forcés de travailler pour compenser le préjudice causé.
Les législateurs des divers Etats sudistes tentèrent de recréer les conditions de l'esclavage non seulement grâce aux codes noirs et aux contrats de travail mais aussi aux lois sur le vagabondage. Le convict-lease System, système de location de détenus à l'échelle de l'Etat, semble avoir vu le jour dans le Mississippi : il permettait de fournir de la main-d'œuvre peu chère aux planteurs - et, à l'occasion, aux propriétaires de mines et aux industriels - chaque fois qu'ils en avaient besoin. Mais il existait aussi localement une pratique, souvent illégale, qui visait à transformer les Noirs en péons et impliquait une entente tacite entre la police et les Blancs les plus influents. Selon Pète Daniel, dès 1901, ce système caractérisé par la violence et la corruption ou l'assentiment des officiers de police locaux était ouvertement toléré dans tout le Sud. En, 1907, un tiers des planteurs du Mississippi disposant de cinq à mille charrues employaient des péons noirs.
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