L’INCIDENT DES DRAPEAUX
Cette histoire de drapeau aura eu de l'importance pour moi, car elle a motivé mon engagement dans la vie sociale et politique du Pays.
D’abord, je rappelle l’arrêté publié par le gouverneur :
Article 1er – Ne sont autorisées sur les bâtiments administratifs, édifices et monuments de service public ainsi que sur et dans les enceintes des dits bâtiments et édifices et monuments que l’exposition et l’apposition des seuls drapeaux et pavillons aux couleurs nationales.
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Visite du ministre Outre Mer Henri Rey du 11 au 18 septembre 1970…
Le ministre fait sa tournée … et s'envole le 18 au matin, pour la Métropole.
Son passage à travers l'aérogare a d'ailleurs donné lieu à l'incident dit «des drapeaux». Lorsqu'il arrive, des militants autonomistes portant des tee-shirts rouges et blancs, font la haie sur la gauche. Deux d'entres eux tiennent l'un un drapeau tahitien, l'autre un drapeau tricolore, «afin de prouver au ministre au moment où il quitte Tahiti, la réalité, l'importance et le caractère pro-français de leur mouvement». Plusieurs élus, dont Francis Sanford, qui ne se sont montrés nulle part pendant le séjour d'Henri Rey, sont au premier rang, évidemment pas pour lui faire leurs adieux. La foule est un peu nerveuse, surexcitée par le brouhaha amplifié par les résonnances du grand hall.
Sur l'initiative du chef des «R.G.», le capitaine de gendarmerie se dirige vers le porteur du drapeau tahitien, lui demande de le retirer, essuie un refus, le lui arrache des mains, en brise la hampe sur son genou, le piétine et l'emporte.
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(d’après le livre « De l’atome à l’autonomie » de Philippe Mazellier)
A partir de cet évènement tous les partisans de l’autonomie mettront un drapeau tahitien à l’entrée de leur terrain ou près de leur maison.
Il faut savoir aussi que le 10 juin 1976, l’assemblée territoriale sera bloquée et que son occupation par la population durera 10 mois.
Ce drapeau restera interdit jusqu’en Mars 1975, quand Olivier Stirn, ministre OM, admettra « Il est normal que les mœurs, les coutumes, la langue et le drapeau polynésiens soient respectés par la France ».
Il ne deviendra officiel qu’en 1985.
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Et maintenant mon histoire personnelle. Il était une fois…
Or donc, fin juin 1975, je m’installe à Mahaena, pk 34, côte est, dans mon fare week-end. A cette époque, je travaille au journal Les Nouvelles de Tahiti. Je pars le matin de bonne heure (7h) avec ma 2CV pour Papeete et je rentre tard le soir. Les week-ends se passent principalement à la pêche sur le motu ou en balade dans les petites vallées avoisinantes.
Mon abri provisoire pendant la construction du fare en 1973 et vu sur le motu Taaupiri
Je ne connais pratiquement personne dans le coin, à part les vieux pêcheurs et un ami, ancien légionnaire allemand, habitant dans la vallée de Mahaena. Par contre, mes enfants vont à l’école de la commune et ma compagne connait rapidement tout le monde ; elle monte même un groupe de danse avec les élèves de l’école.
Un soir, trois gars du district arrivent chez moi en camionnette Peugeot. Ils sont amicaux et assez discrets (faut dire que la commune était majoritairement « départementaliste »), ils échangent quelques mots avec ma compagne et puis sans un mot et avec le sourire, me remettent un paquet. Après leur départ, j’ouvre le paquet, c’était le fameux drapeau tahitien « rouge, blanc, rouge ».
Cela m’a laissé pensif : comment, je ne les connais pas, mais eux ils me connaissent ? Ou plutôt, ils m’ont reconnu comme un des leurs…
Bien sur, ce drapeau a été installé immédiatement au bout d’un mât.
Quelques jours après, j’allais m’inscrire, pour la première fois, sur la liste électorale de Mahaena… et ensuite, je me suis senti beaucoup plus concerné par l’avenir de ce pays... et 37 ans plus tard, je le suis toujours !
Après son exposition sur un mât, les esprits s’étant calmés, le drapeau a fini sa vie sur un mur de la maison.