LE SERVICE MILITAIRE (14)
(code recherche : SOUMIL)
La direction du service du matériel du C.E.P. me propose un contrat de travail au même poste que j'occupe en tant que militaire. Ma décision est prise...
"Il entre dans toutes les actions humaines plus de hasard que de décision" (André Gide). Hum ! pas si sur "Il n'y a point de hasard" (Voltaire).
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XIV - Une nouvelle vie
Je reprends comme précédemment les lettres
écrites à ma mère. Dans quelques unes de ces lettres j'écris "Ne t'attristes pas trop sur le
fait que je reste à Tahiti : c'est seulement le travail qui me retient ici", mais je sais qu'elle n'était pas dupe...
Le 05/07/1966
"Chère maman,
... Maintenant que mon contrat est signé, je peux prendre certaines décisions ; d'abord, tu peux vendre mon électrophone stéréo.... l'argent, tu le placeras où bon te semblera dans la maison ou ailleurs, moi je n'en ai pas besoin."
Le 16/07/1966
"... Ici comme ailleurs, c'est toujours les mêmes qui encaissent le gros paquet et je ne fais pas partie de ceux-là. De toute façon, je suis heureux et je ne me prive pas, c'est une question de goût."
Le 02/08/1966
"... Point de vue travail, j'ai trouvé un filon qui peut être intéressant, c'est instituteur dans les îles ou les districts ; je ne serai pas plus payé qu'au CEP mais par contre je serai logé, loin de Papeete et de cette foule de militaires et d'assimilés. Je pourrai y rester même si le C.E.P. disparait... "
Le 22/08/1966
"... En ce moment, je suis occupé par l'achat d'un frigidaire et d'un réchaud à gaz avec four. Car dans quelques temps je vais être civil et préoccupé par les provisions. Jusqu'à maintenant je ne prenais qu'un repas par jour à la maison (le soir) sauf le dimanche et ma vahiné prend ses repas à son travail (Mess sous-officiers). D'ailleurs pendant mes 8 jours de congé, j'ai surtout cuisiné : tomates farcies, choux braisés, carottes sautées, tournedos, paupiettes de veau farcies, pot-au-feu (sans pomme de terre car depuis quinze jours, il n'y en a pas à Tahiti, il faut attendre le prochain bateau)."
Ma mère était une excellente cuisinière, d'ailleurs venue du Lot à Montpellier en 1936 pour travailler dans l'un des meilleurs restaurants de la ville. Ma vahine est aussi bonne cuisinière et se perfectionnera à chaque rencontre avec ma mère (ses références : Belvédère avec Maurice Brichet, Tamouré avec Gaspard Coppenrath, snack du Marché de Pirae, entre autres).
Le 01/09/1966
"... je n'ai pas encore eu de réponse à ma demande de libération sur le territoire, c'est long (il est vrai que j'ai du la refaire car ils avaient perdu la 1ère, c'est l'armée !).
Cet après-midi, le chef du personnel de la SODETRA (CEA) m'a demandé au téléphone... (Ce dernier a essayé de me rouler : après m'avoir proposé un poste au CEA Mahina et m'avoir demandé de résilier immédiatement mon contrat CEP, il me dit,8 jours après, l'air embêté, que la place n'est pas encore disponible mais qu'en attendant, il m'enverra à Moruroa. Bien sur, je refuse ; il est étonné croyant que je n'ai plus de contrat ; mais je lui réponds que n'ayant pas eu confirmation écrite de sa proposition, je n'ai pas encore résilié le contrat avec le CEP... Bye !)
... Au dernier
moment, j'ai été embauché pour la prise d'armes et le défilé pour De Gaulle...(Il passera à 2
mètres de moi )
Le 15/09/1966
"... Concernant SODETRA, il y a de fortes chances pour qu'ils m'écrivent ou téléphonent, je verrai alors s'ils ont de meilleures propositions. Chercher du travail ici est un vrai régal, qu'elle différence avec Montpellier ! mais ça sera de courte durée, alors autant en profiter."
Avant mon départ à l'armée, j'ai eu plusieurs emplois : vendangeur, cueilleur de pommes, employé de banque (BNCI devenu BNP), pompiste, machiniste au théâtre municipal, livreur de pièces auto en triporteur,...
Le 26/09/1966
"... Tu me demandes si je suis heureux. Je crois que oui, quoique je mène une vie très simple comme il me plait. Je sors un peu le soir, je vais à la pêche, me balader en montagne, je lis beaucoup et j'écoute des disques ; par chance (?), ma vahiné est absente pour son travail 12 heures par jour..."
Le 06/10/1966
"... J'ai pas mal d'histoires en suspend qui attendent une réponse :
Tout d'abord, ma libération sur le territoire qui n'est pas revenu de la décision du gouverneur ... A la suite de ceci, on ne m'a pas encore donné l'autorisation de travailler pendant mes permissions, donc je suis en congé forcé pour 3 semaines...
... j'ai arrêté ma
lettre car on est venu me donner du travail subitement. Je construis des "Farés" pour un copain entrepreneur, en ce moment je pose du "pandanus" sur les toits (pandanus = sorte de chaume). Les
charpentes, je connais ça, c'est ce que j'ai fait durant mon séjour à Mururoa. Donc, depuis que je travaille tout va très bien. Je me suis rendu compte que les congés ne sont pas bons pour le
moral à Tahiti ; on se retrouve vite une couronne de fleurs sur la tête, une guitare dans les mains et une caisse de bière entre les jambes.
Aujourd'hui, bonne nouvelle, j'ai reçu la décision favorable de ma libération sur le territoire, je pense donc reprendre le travail au C.E.P. demain ou après demain. Le moral est en hausse...
Enfin quand je serai définitivement et convenablement installé, je pourrai t'envoyer l'argent pour prendre le bateau et venir faire un séjour en Polynésie..."
Voilà, j'en ai terminé avec mon service militaire. Commencé le 1er septembre 1961 au 7ème régiment du génie à Avignon, il se termine en Polynésie le 14 décembre 1966 après un congé de fin de campagne de trois mois.
A compter du 12 octobre 1966, je reprends une activité civile jusqu'au.... 30 novembre 1999, sans interruption. Si j'en trouve le courage, je reprendrai la suite des lettres à ma mère et j'écrirai le roman "La société civile" (c'est un terme à la mode).