LE SERVICE MILITAIRE (8)
(code recherche : SOUMIL)
Mon contrat de 3 ans avec l'armée se terminant le 31 août 1964 et ayant droit à 2 mois de congé, je devrais prendre l'avion à la fin juin pour mon retour en France. Mais au retour de Moruroa, je retrouve mes ami(e)s et je ne m'inquiète pas trop de mon prochain départ.
"Septième ciel" ? Différents sujets partagent ce nom : astronomie ancienne, religion, cinéma, télévision, musique, littérature, sexologie. Les quatre premiers ne m'intéressent pas, je n'ai pas suffisamment de temps pour les deux suivants, reste le dernier...
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VIII - Le Septième Ciel
Papeete, le 21/03/1964
"Chère maman,
... Les installations du camp se sont améliorées, mais il y a trop de militaire maintenant. Les légionnaires ont fini par se fâcher avec les tahitiens de Papeete qui sont pourtant très hospitaliers. Si on laisse la légion ici, les tahitiens vont finir par demander l'indépendance ! (écrit prémonitoire, serais-je un devin ?). Maintenant, une bonne nouvelle, à partir de lundi je travaille chez le trésorier du Centre Expérimental du Pacifique ; les bureaux se trouvent à Papeete. Tous les matins, je prendrai le petit déjeuner en ville (café au lait, croissants), ça me changera du "jus" infect qu'ils nous servent au camp...."
(Blanchisserie Blanche-Neige à gauche)
Mon snack du matin sera celui qui est à l'angle des rues Clappier et Albert Leboucher, ma blanchisserie sera "Blanche-Neige" juste à côté et mon coiffeur Afo à deux pas mitoyen du ciné Moderne.
Papeete, le 31/03/1964
"Chère maman,
... D'ailleurs, avec mon scooter, je reste rarement à Papeete ; les dimanches, je vais dans les villages où ils ne connaissent pas encore les horreurs de la civilisation."
Papeete, le 28/04/1964
"Chère maman,
... Pour le moment, je continue ma petite vie tranquille, je travaille le moins possible et je sors le plus possible. Je passe de très bons moments et je n'économise pas beaucoup d'argent. Je dors aussi très peu (hé !)... Je passe les week-ends dans un "fare" (comme ceux que je construisais à Muroroa) au bord de la mer à 15 km de Papeete (hé, hé !). Le fare appartient à des amis tahitiens habitant à Papeete. Ils sont très sympas et je vais souvent chez eux passer la soirée....
(cette photo n'a rien à voir avec l'histoire ci-dessous)
En fait, une soirée au Zizou avec la charmante F...., où nous avons dansé jusqu'à 23 heures ; puis une balade en vespa jusqu'à la plage Sigogne (déjà bien occupée)... et la nature a fait le reste, pas plus compliqué. Pourquoi toutes ces simagrées, tous ces préludes, alors que le 7ème ciel est si proche...
Le deuxième soir, même chose ; mais le troisième soir, elle me dit "on va chez moi, je t'indique le chemin". Il est tard, un petit fare en pinex au bord du chemin, pas de lumière, tout est silencieux. Elle tape à la porte, la lumière d'une lampe à pétrole apparait, une mama ouvre la porte. Elles s'embrassent, elle m'embrasse ainsi que le papy qui se lève du lit. Deux pièces, une cuisine et une chambre, les parents déposent un peue (tapis tressé) dans la cuisine, ils s'y installent pour dormir et nous laissent le lit encore chaud... Ce n'est que le lendemain que je réaliserai, j'ai enfin trouvé le vrai bonheur, la simplicité, je commence à penser que j'aimerais rester à Tahiti...
Papeete, le 6/05/1964
"Chère
maman,
... Je vais te raconter en quelques mots les fêtes de "Camerone" : Mercredi soir (29.4), veillée avec musique, scène, disques, prises de vues, film et l'histoire de
Camerone (j'y suis pas allé car j'étais fatigué). Jeudi matin : Prise d'arme et défilé au camp (je suis resté au lit). jeudi après-midi et soir : kermesse et bal au camp avec brasserie, buvette
et snack-bar organisés par nous. J'ai tenu un stand de 16h à 19h. J'ai réussi à liquider toute la marchandise et à 20 h, nous avons pu fermer le stand et aller danser. Les tahitiens qui aiment
s'amuser et dépenser, étaient venus en grand nombre... (dans le stand que je tenais, il
fallait jeter des pièces dans une assiette au milieu de stand et faire en sorte qu'elles y restent, un légionnaire a gagné un petit cochon, il a dansé toute la soirée avec son cochon en
laisse )".
Suivent quelques lettres où je fais part à ma mère de mon antimilitarisme.
Le 3 juin, j'écris "... je me considère en vacances. Ce n'est pas 3 ans d'armée dont 1 avec la légion étrangère qui m'ont fait devenir patriote, au contraire.
Le 10 juin, j'écris "Heureusement que je suis libéré prochainement...".
Le 17 juin, j'écris "... ce qui fait qu'ils ne sont pas prêt de me revoir au 5ème Rgt mixte du Pacifique"
Pourtant le 24 juin (mon départ est prévu pour le 1er juillet), j'écris "Quant à mon esprit militaire, il est très bon et ce n'est pas dit que je ne rengage pas un jour".
En fait, j'ai demandé, depuis début juin, ma libération sur place ; mais étant dans les premiers en fin de contrat, il semblerait que les chefs n'ont fait suivre mon dossier aux services du Gouverneur ou n'aient pas bien gérer ma demande. Mais cela, je n'osais pas le dire à ma mère tant que je n'étais pas sur de la réponse.
Ce que je ne raconte pas :
Ma liaison avec F.... n'aura duré que quelques jours. Je sors
tous les soirs avec mon ami Gilbert qui m'a rejoint depuis Avignon. Nous avons une chambre à Faa'a, louée chez un papy. Un soir, au Zizou (si je me souviens bien), nous rencontrons deux vahine
que nous invitons pour la soirée. Comme d'habitude, étant plus grand, je danse avec la plus grande et mon ami avec la plus petite. Les soirées se terminent toujours chez le papy à Faa'a. Ce
n'était pas vraiment parfait et le troisième soir, les vahine s'imposent, je me retrouve avec la petite et mon ami avec la grande. Et là, je bascule... je la vois, en moyenne trois fois par jour,
je m'échappe du boulot (bureau de paye situé au Grand Hôtel) dés que je peux et je termine la nuit dans la petite baraque située dans la colline au-dessus de Papeete (quartier Orovini). Je ne
veux plus la quitter... pourtant, je ne me souviens plus de son prénom, elle me disait être native de Rairoa (Rangiroa) ou Raroia. Je suis resté avec elle, jusqu'à mon départ vers l'aéroport, un matin du 1er juillet.
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Mon dernier texte à ma mère, le 30 juin 1964 :
"Ce que je regrette un peu, c'est tout le mauvais côté qu'a apporté la civilisation dans ce pays. On s'aperçoit même du changement dans le caractère des gens en un an depuis la venue des militaires. Au début, on a été reçu à bras ouvert, maintenant, on est obligé de faire des patrouilles de sécurité pour protéger les militaires contres les jeunes tahitiens (remarques qu'ils n'ont pas torts, ça me rappelle la façon dont nous avons reçu les pieds-noirs chez nous).
A part ça, je regrette de quitter ce pays et il n'est pas dit que je n'y revienne pas un jour (avec toi, bien entendu)"
Fin 1963, la compagnie TAI devient UTA
Mercredi 1/7/64 - PAPEETE
Jeudi 2/7/64 - HONOLULU
"" - LOS ANGELES
"" - MONTREAL
Vendredi 3/7/64 - PARIS
à suivre....