LES CATHARES (2)
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LA CHUTE DE MONTSEGUR (suite)
(Extrait du livre « Montségur, Roche tragique » de Louis Gaussen – Foix 1905
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Pendant ces apprêts, ceux qui devaient mourir faisaient à ceux qui devaient survivre leurs derniers présents et leurs suprêmes recommandations. Amiel Aicard, qui paraît avoir été le trésorier de l'église cathare, fut chargé de sauver le trésor que, par précaution, on avait caché dans la forêt, voisine de Montségur. L'évêque lui adjoignit Ugo, Peytasi et un autre parfait dont le nom s'est dérobé à sa gloire et, après avoir reçu la bénédiction des évêques et le baiser de paix de leurs frères, les quatre héros s'éloignèrent el disparurent dans la nuit. Que devinrent-ils? Selon les uns, Pierre-Roger les fit cacher dans un souterrain d'où ils ne sortirent qu'après le trépas de leurs amis et l'éloignement des troupes du sénéchal. Mais selon d'autres, et plus vraisemblablement, le chef fixa solidement un câble au mur oriental du château et en lança l'immense rouleau dans l'espace ténébreux. Les hardis Albigeois s'aventurèrent dans l'effroyable précipice, et suspendus à ces cordes flottant dans le vide obscur, glissant de nœuds en nœuds le long du roc vertical et nu, ils descendirent ainsi l'un après l'autre au fond de l'Abès. Ils se cachèrent dans la forêt, tirèrent le trésor de sa grotte, et la nuit suivante, ils se dirigèrent par le Sabartez (5) vers le château de So, voisin du Quérigut (6), où ils racontèrent à Esclarmonde de Foix, leur pieuse protectrice, les derniers combats et les derniers soupirs des défenseurs de Montségur.
.....Les heures s'écoulèrent pendant ces tristes apprêts, ces longs embrassements, ces suprêmes adieux ; puis quand le soleil se leva sur les monts lointains de Bélesta, l'évêque de Toulouse donna la suprême bénédiction à ces héros ; il fit ouvrir les portes et se remit avec son peuple aux vainqueurs. Le sénéchal, l'archevêque de Narbonne et l'évêque d 'AIbi firent, à mesure qu'ils sortaient, le triage pour la mort ou les fers. Ramon de Pérelhia, Bérenger de Lavelanet, Arnauld-Roger de Mirepoix, les chevaliers de Rabat et d'Elcougost, tous ceux qui n'étaient que croyants furent enchaînés el remis en garde aux Français. Les évêques, les diacres, les parfaits, les diaconnesses furent eux conduits au bûcher.
L'évêque Bertran d'En Marti, suivi d'une longue chaîne de condamnés, garottés comme lui, descendit lentement la longue et sinueuse rampe du château, semblable à un roi qui va triompher avec son peuple. On contourna la montagne à l'ouest, dans la direction de Lavelanet ; on gagna par la gorge du Trembiement, la tête septentrionale de l'Abès, esplanade arrondie, entourée de rochers et de bois, et la seule qui lut assez spacieuse pour cet immense sacrifice. On fit halte, et comme quelques-uns des captifs s'étaient évadés, dans le tumulte, on les parqua, comme un troupeau, dans une enceinte de ramée fortifiée de pieux, et l'on alla couper des tiges de buis, de sapin, d'arbres résineux dans la forêt. Pendant ce temps, Pierre-Roger de Mirepoix, réservé par ses compagnons pour réparer leur infortune, relever la cause de la Patrie romane et fonder un autre Montségur sur quelque autre cime des Pyrénées, s'éloigna, libre sur la parole du sénéchal ; on ne lui demanda compte ni du meurtre des Inquisiteurs, ni de ses combats acharnés contre l'Eglise romaine et le Roi de France ; il partit presque en vainqueur, dans celle effroyable ruine, suivi de son ingénieur, Bertran de la Baccalaria, et d'Arnauld Rouquier, son chirurgien. Qui peut dire ce qui se passa dans le cœur de l'intrépide chef des faidits (7), lorsqu'il s'arracha de cette cime funeste où il laissait sa femme, sa famille, son peuple, parqué comme un troupeau, réservé la moitié pour les cachots et l'autre pour le trépas ? Il descendit vers Lavelanet et se dirigea vers Foix ; mais en tournant de temps en temps la tête vers sa noble forteresse, il pût voir monter en tourbillonnant une noire colonne de fumée, une nuée obscure d'où s'exhalait une vapeur de cendre humaine avec une odeur de cadavre brûlé, et dont l'ombre livide, était sillonnée d'étincelles de feu comme des âmes qui s'envolent vers le ciel. Alors l'infortuné héros dut regretter de n'avoir pu mourir ?...
Le val supérieur de Montségur, en effet, fumait comme un gigantesque autel triangulaire. Avec les troncs des sapins coupés dans la montagne, les débris des machines fracassées dans les combats et la charpente arrachée déjà de la forteresse, on avait construit sur l'esplanade du Tremblement et de l'Abès, un bûcher colossal. Le feu fut mis à ces matières desséchées ou résineuses, et l'archevêque de Narbonne, une dernière fois, somma les captifs de reconnaître l'autorité spirituelle du pape de Rome et temporelle du roi de France. Pour toute réponse, les Albigeois s'élancèrent d'un seul bond, en chantant, dans le foyer immense. Ils étaient deux cent cinq. Pendant que la flamme dévorait leurs cadavres, l'archevêque de Narbonne, les Français, les Gascons et les pâtres infidèles, rangés en cercle autour du bûcher, entonnaient en chœur l'hymne sainte des massacres de la Croisade.
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Ainsi tomba Montségur.
Castellum romain en ruine, reconstruit par Esclarmonde de Foix, il reçut deux fois sur sa cime le sacerdoce cathare et les spoliés de la Croisade, La première hégire, après un relèvement, magnifique, se termine par la victoire et le retour des Exilés dans les manoirs paternels. La seconde, après une lutte désespérée, se termine par le trépas, la captivité, l'éternel exil, une ruine irréparable...
Montségur fut, pendant trente-ans, une oasis d'indépendance, le champ d'asile du Midi, le Capitale des Proscrits pyrénéens. Ce sommet désert a défié, deux des plus hautes cimes du monde :
Le Louvre et le Vatican !...
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Notes :
Les évêques, diacres, parfaits en bleu sont des membres de la religion cathare.
(1) Gatta, de l’occitan gata, machine de guerre ; cité par ailleurs comme « machine de l’évêque (d’Albi) »
(2) Albigeois, en principe habitant d’Albi mais dans ce cas autre nom des cathares.
(3) Abés, rivière contournant la montagne de Montségur.
(4) apostole, du grec apostolos qui désigne couramment une mission, son accomplissement ou les lettres la décrivant.
(5) Sabartez, ou Sabartes, région de la haute Ariège
(6) Quérigut, village de la haute Ariège, 116 habitants actuellement
(7) faidits, Les faydits ou faidits sont les chevaliers et les seigneurs languedociens qui se sont retrouvés dépossédés de leurs fiefs et de leurs terres lors de la croisade contre les Albigeois.