LES POETESSES
Elégies – XIII
Oh ! si j'étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant ;
Si avec lui vive le demeurant
De mes courts jours ne m'empêchait envie ;
Si m'accolant, me disait : Chère Amie,
Contentons-nous l'un l'autre, s'assurant
Que jà tempête, Euripe, ni courant
Ne nous pourra déjoindre en notre vie ;
Si, de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l'arbre encercelé*,
La mort venait, de mon aise envieuse,
Lors que souef** plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.
Louise Labé (1524 - 1566)
(*) encerclé
(**) doucement
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Loin du monde.
Entrez, mes souvenirs, ouvrez ma solitude !
Le monde m'a troublée ; elle aussi me fait peur.
Que d'orages encore et que d'inquiétude
Avant que son silence assoupisse mon coeur !
Je suis comme l'enfant qui cherche après sa mère,
Qui crie, et qui s'arrête effrayé de sa voix.
J'ai de plus que l'enfant une mémoire amère :
Dans son premier chagrin, lui, n'a pas d'autrefois.
Entrez, mes souvenirs, quand vous seriez en larmes,
Car vous êtes mon père, et ma mère, et mes cieux !
Vos tristesses jamais ne reviennent sans charmes ;
Je vous souris toujours en essuyant mes yeux.
Revenez ! Vous aussi, rendez-moi vos sourires,
Vos longs soleils, votre ombre, et vos vertes fraîcheurs,
Où les anges riaient dans nos vierges délires,
Où nos fronts s'allumaient sous de chastes rougeurs.
Dans vos flots ramenés quand mon coeur se replonge,
Ô mes amours d'enfance ! ô mes jeunes amours !
Je vous revois couler comme l'eau dans un songe,
Ô vous, dont les miroirs se ressemblent toujours !
Marceline Desbordes-Valmore (1786 - 1859)
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Un désir encore ascendant
Ai-je imprudemment souhaité
Guérir de toi ? Quelle ignorance
M'irritait contre ma souffrance !
Ah ! Que rien ne me soit ôté
De la détresse qui me cache
Le passé, le lendemain !
Sois la seule chose que je sache
Et qui blesse ! Rien ne déçoit
Dans la sombre et féconde ivresse
D'un désir encore ascendant.
Lèvres rêveuses sur les dents,
Regard qui se meut ou se pose,
Gardez votre pouvoir ardent,
Vous qui, dans une chambre close,
Par le souvenir obsédant,
M'inondez d'une odeur de roses !
Anna de Noailles (1876 - 1933)