MANGAREVA
MANGAREVA de Jean-Hugues Lime
Résumé de "Mangareva"
Le 7 août 1834, Caret et Laval, deux jeunes missionnaires catholiques de la congrégation du Sacré-Coeur, aidés par le frère Murphy, débarquent à Mangareva, dans l'archipel des Gambier. C'est le plus mal connu et le plus secret des chapelets d'îles situées au sud-est de la Polynésie française. Une île peuplée de " sauvages ". La mission de Caret et Laval : évangéliser les Maoris et édifier un paradis chrétien. Ils s'installent dans l'archipel avec comme seuls bagages quelques soutanes, un ornement de vases sacrés et soixante bouteilles de vin de messe. Par quels moyens deux prêtres sans armes pourront-ils convertir plusieurs milliers de Polynésiens et les convaincre d'abandonner leur culture, leurs croyances ? L'entreprise des missionnaires va si bien réussir que les deux prêtres feront construire aux Maoris une cathédrale en plein cœur de l'océan Pacifique. Le prix à payer consiste en l'effritement puis l'anéantissement d'une civilisation et d'un mode de vie. Et, pour finir, en raison de l'épuisement des ressources naturelles, dans le dépérissement de toute une population. Cette histoire vraie ressemble à un conte cruel et sombre, traversé par de brutales bouffées de comédie. Elle projette à travers le temps une lueur glauque et fantasque qui éclaire d'une splendeur barbare notre histoire religieuse et coloniale. Ce roman décrit l'éradication d'une civilisation par une autre, la destruction d'un écosystème fragile au nom des bons sentiments, de la prétendue supériorité occidentale mais aussi du fanatisme religieux, de la cupidité des colons et de l'ignorance de tous.
Les hussards noirs de la Polynésie
CHRONIQUE BOUQUINS par Pascal Legeay
http://www.bakchich.info/article3453.html
http://cozop.com/bakchich/les_hussards_noirs_de_la_polynesie
(Ce dessin et le suivant sont extraits du Dictionnaire Illustré de la Polynésie)
Mangareva, c’est un le roman d’un beau tableau de chasse, ou comment réduire une île richement dotée par la nature en mouroir sinistre : 5000 morts en dix ans, une culture orale éteinte, les structures politico-religieuses liquidées, les échanges économiques traditionnels détruits et tout un éden réduit à une aridité singulièrement famélique. Belle opération avec une solide compagnie d’infanterie coloniale ? Grands dieux non : deux missionnaires de la congrégation du Sacré Cœur, une poignée de soutanes énergiques, la foi.
« Il constate en regardant brûler les totems qui frétillent dans la braise :
– Nos dieux sont tous morts.
– C’est donc, répond Laval en lui mettant la main sur l’épaule, qu’ils n’étaient pas des dieux. Les missionnaires passent à table et se servent des braises pour cuire un petit cochon de lait. »
Mangareva, sous des dehors de roman inquiétant, est un docu-drama dans un éden marin. Une spirale de mort annoncée et décrite avec minutie. Les conquérants y sont inspirés et décidés à tout prendre. Ils ne failliront pas, malgré les difficultés matérielles, à accomplir ce pourquoi ils sont envoyés de Paris. Leur mission nécessite le sacrifice lent des natifs subjugués par la foi et la technologie. L’hécatombe des jeunes et le carnage du lagon sont le troc imposé en échange d’une cathédrale majestueuse, bâtie en force sur un atoll qui n’en demandait pas tant.
Tahiti, protectorat français, est à 1200 km mais ignore la théocratie retranchée malgré le nombre élevé des victimes, la commercialisation éhontée et abusive des richesses, le chantier énorme, le traitement infligé aux jeunes filles : Les officiers de marine sont pourtant rarement aveugles et sourds.
« Le mot s’est propagé à travers le Pacifique parmi les européens en quête de fortune qu’aux Gambier on échange des perles d’une exceptionnelle beauté à des prix dérisoires »
Le déplorable abandon de l’archipel cessa pourtant, dès qu’il fût devenu base de ravitaillement des vapeurs transpacifiques. 35 ans après.
Les hommes de Picpus partagent une foi roide et sèche, exigeante et impitoyable, en guerre contre le démon, et rapide à fracasser les « idoles » pour capturer les cœurs et leurs esprits. Durant l’agonie des habitants, soumis de terreur en présence de ces Akua, les esprits blancs revenus des morts qui ne respectent aucun des « tabu ».
La Congrégation gère l’état-civil, le cadastre, l’éducation religieuse, les prêtres s’attribuent donc les terres. Ils les possèdent toujours aujourd’hui.
Mangareva est une longue souffrance, imposée en échange de promesses de vie éternelle, même si les colonisés crient très vite leur douleur d’avoir perdu leurs symboles et repères culturels. Les tentatives d’évasions sont toujours fatidiques, les suicides trop nombreux.
« La pire des fautes commises par mon peuple est d’avoir cru que le savoir des occidentaux nous rendrait heureux, qu’il apporterait un surcroît de pouvoir et de richesse. »
La confrontation de la pureté des ascètes avec le sexe, longtemps joyeusement exhibé des Mangaréviens insouciants, fait sourire tant on se réjouit d’une résistance si persévérante.
Mais les profondeurs spirituelles du petit peuple innocent nous sont offertes pour mieux nous frapper : l’éradication du bonheur a été aussi complète que celle de la Nature.
« Le prix à payer de votre civilisation sont le travail, la défiance envers nous-mêmes, le mépris pour ce que nous sommes devenus. »
Les tranquilles enfants de Rousseau n’avaient aucune chance. La rapacité du pillage est déterminée, son caractère absolutiste est sans scrupule :
« Donnez vos perles décrète Laval sans ambages. Kerekorio sursaute avec les mouches qui se promenaient tranquillement sur son ventre. Il craint Laval lui aussi. Jamais il n’est venu chez lui sans avertir.
– Pourquoi ? demande Kerekorio.
– Parce que, répond Liausu, il n’ y a personne digne de confiance à qui remettre votre trésor »
Quand tout est consommé de cette Passion collective, le roman devient plus sombre, à l’image des plongées dans les remords et les doutes : J.H. Lime a beaucoup vécu, énormément rêvé et compris les tourments de ces solitaires, oubliés par une hiérarchie lointaine.
On partage un sanglot de l’homme blanc, avec le très sympathique frère convers Murphy. Sa jovialité généreuse d’irlandais enchante, avec ses chants et son diable d’accordéon ; serviteur défroqué des religieux, il va soigner et aider sa nouvelle famille de son mieux. Sa frugalité est digne d’un Dr. Schweitzer échappé d’une bonne vieille Histoire de l’Oncle Paul. Les autres colons, affreux et méchants, sont tous échappés de Coup de Torchon.
Au final, ce sont les manuels, les ouvriers importés par les curés qui vont se révéler : avec des astuces de Robinson, ces compagnons autodidactes et fidèles au devoir, vont créer leur chef d’œuvre, leur Graal de pierre.
Souvent, il y a la folie d’Aguirre dans le prêtre Laval, tyran psychotique alternant la contrainte cruelle et la violente prise de parole rituelle. Harceleur, Laval est diable omniprésent durant l’agonie des habitants, soumis de terreur en présence des Akua, esprits blancs revenus des morts qui ne respectent aucun des « tabu ».
Jean-Hugues Lime écrit une belle histoire d’un drame obscur, il a le trait fin et « efficace », mais s’il retient sa plume trop souvent, son cadrage de cinéaste nous fait partager de vraies proximités avec l’action. Les dialogues fonctionnent avec la nervosité du théâtre, créant les petits drames, définitifs dans la grande tragédie et lançant les rires à gorge déployée.
Comme au camp, dans La Vie est Belle.
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Mais cela ne fut pas la seule calamité que durent subir les Ma’areva.
A la fin de mai, Bruno Barrillot, éditeur de la revue Damoclès de l'Observatoire des armes nucléaires françaises (CDRPC), l'association des vétérans des essais nucléaires français (Aven) et Roland Oldham de l'association Moruroa e tatou ont présenté à Tahiti des rapports et correspondances militaires concernant les deux premières campagnes de tirs de 1966 et 1967 en Polynésie française. La plupart de ces documents sont estampillés « Secret » ou « Confidentiel défense ». Il s'agit des mêmes documents (augmentés de quelques autres) que le journaliste Vincent Jauvert du Nouvel Obs avait pu consulter, par accident, aux archives militaires en 1987. Suite à la publication d'un long article (TPM n° 83, mars 1998), le ministère de la Défense avait reclassé ces documents « Secret Défense » pour une période de 60 ans.
Mais l'un des acteurs de l'aventure du nucléaire dans le Pacifique avait gardé des copies de ces archives, peut-être parce qu'il était tourmenté par des remords ou par une obligation à l'égard des populations des îles Gambier et Tuamotu. Quoi qu'il en soit, il prit des dispositions pour qu'après son décès ces documents soient remis à l'association de M. Barillot, lequel a prouvé depuis 20 ans le sérieux de ses combats contre les armes nucléaires.
Ces documents de 1966 et 1967 prouvent incontestablement que les premiers essais atomiques « sales » car « sur barge » à Moruroa avaient été suivis « d'effets » inattendus (retombées « non maîtrisées »). Les documents démontrent que les services chargés de la sécurité ou de la protection radiologiques étaient en fait soumis à l'impératif des programmes d'essais nucléaires qui primait. Les rapports du SMSR (Service mixte de sécurité radiologique), un organisme allié au CEA (Commissariat à l'énergie atomique) signalent parfois les problèmes de radioprotection, mais aucun ne remet en cause le programme d'essais en raison des risques pour les populations.
La position des îles Gambier se situe dans la direction des vents stratosphériques (jet stream) qui poussaient les nuages radioactifs depuis Moruroa et Fangataufa. Les autorités, avaient voulu avant même le début des essais porter une attention particulière aux populations des Gambier, mais on lit que les recommandations des experts n'ont pas été suivies par les « expérimentateurs ». Les raisons invoquées pour passer outre, même après le constat de retombées radioactives importantes sur les Gambier, se rapportent principalement à la priorité à donner aux essais. A la lecture de certains passages de ces documents transparaît un mépris des populations.
Certains documents diffusés auprès d'un nombre très restreint de destinataires constituent de véritables cris d'alarme alors que d'autres minimisent les effets des essais, dont ceux destinés à l'ONU. Ils montrent aussi que les données fournies par le ministère de la Défense en 1998 pour l'enquête de l'AIEA (Agence internationale pour l'énergie atomique) sont loin de refléter la réalité sur ce qui s'est réellement produit en 1966 (lire TPM n° 87, juillet 1998). Ces documents confirment aussi la véracité de tout ce que Tahiti Pacifique avait publié dans de nombreux articles depuis 1991.
Aujourd'hui, ils devraient surtout aider les scientifiques à comprendre certaines des maladies qui affligent les habitants de Polynésie française et les anciens travailleurs des sites nucléaires. Alors que les rapports du Dr de Vathaire de l'INSERM (TPM n° 88, août 1998) dévoilaient déjà que l'incidence des cancers parmi la population augmentent à fur et à mesure que l'on se rapproche de Moruroa, ces mois derniers des épidémiologistes ont démontre que les anomalies chromosomiques sont trois fois plus importantes chez les patients polynésiens atteints de cancer de la thyroïde que ceux d'un groupe de controle de patients européens. Ces chercheurs indépendants suggèrent que, là encore, ces anomalies sont imputables aux expérimentations nucléaires. Pourtant, le très officiel Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français qui était venu à Tahiti et Moruroa en avril 2005, juge que la « probabilité de constater un effet des radiations ionisantes apparaît faible ».
Lors d'une visite à Mangareva pour informer la population suivie par une conférence de presse à Papeete, M. Barillot condamna la « mauvaise foi des autorités » en montrant les relevés « des retombées radioactives considérables sur les îles et atolls habités dans l'archipel des Gambier... preuves qu'on a trompé les populations sur la réalité des retombées radioactives » et que le premier essai a précipité sur les Gambier des retombées radioactives « 140 fois plus fortes que dans la zone interdite de Tchernobyl » et que cela « explique l'ampleur des problèmes de santé subis, non seulement par les anciens travailleurs de Moruroa, mais aussi par l'ensemble de la population de la Polynésie. »
Pour une énième fois, il exige au nom des associations « toute la vérité sur les essais nucléaires effectués », que « soient rendus accessibles toutes informations et documents ». Pour la première fois, le maire de la commune de Mangareva participa à cet appel.
(Extrait de TPM n° 170 de juin 2005 avec l’aimable autorisation de Tahiti Pacifique Magazine)