PAUL GAUGUIN (13)
Après la rédaction entreprise au printemps 1893, d'un cahier de cinquante-quatre
pages destiné à sa fille Aline, Gauguin, abandonnant son projet d'aller aux îles Marquises, décide de rentrer en France. La déception l'emporte finalement sur le rêve de l'Eden. Invoquant dans
Noa Noa d'impérieux devoirs de famille - en réalité, son aventure avec Teha'amana se terminait dans la désillusion - la France et les siens lui manquaient, et ses ressources étaient au plus bas
.Au bilan de ces deux années sous les tropiques, « 66 toiles plus ou moins bonnes »,
quelques sculptures ultra sauvages. « C'est assez pour un seul
homme », écrit-il à Daniel de Monfreid vers la fin mars 1893. Il faut écouter les derniers mots
de NOA NOA :
« Il me fallut revenir en France. Des devoirs impérieux de famille me rappelaient. Adieu, terre hospitalière, terre délicieuse, patrie de liberté et de beauté ! je pars avec deux ans de plus, rajeuni de vingt ans, plus barbare aussi qu'à l'arrivée et pourtant plus instruit. Oui, les sauvages ont enseigné bien des choses au vieux civilisé, bien des choses, ces ignorants, de la science de vivre et de l'art d'être heureux. Quand je quittai le quai, au moment de prendre la mer, je regardai pour la dernière fois Teura. Elle avait pleuré durant plusieurs nuits. Lasse maintenant et triste toujours, mais calme, elle s'était assise sur la pierre, les jambes pendantes effleurant de ses deux pieds larges et solides l'eau salée. La fleur qu'elle portait auparavant à son oreille était tombée sur ses genoux, fanée .De distance en distance, d'autres comme elle regardaient, fatiguées, muettes, sans pensées, la lourde fumée du navire qui nous emportait tous, amants d'un jour. Et de la passerelle du navire avec la lorgnette, longtemps encore il nous sembla lire sur leurs lèvres, ce vieux discours maori : »