PAUL GAUGUIN (3)
Revenons à Paul GAUGUIN, écrivain méconnu.
(Extrait de « Avant et après », le dernier écrit de Gauguin – Editions Avant et Après)
Je vous parle beaucoup d'un tas de choses, malgré ma promesse de vous parler des Marquises. Ce serait de la traîtrise, vous alléchant par un titre pompeux en espoir d’une toute autre chose qu'à Paris, mais qu'on m'excuse moi-même y ayant été pincé. J'y suis, avalons la pilule. En revanche mon pinceau peut se rattraper. Il y a bien de superbes montagnes que je pourrais vous décrire plus ou moins mensongèrement, mais il me faudrait le talent descriptif avec un tas d'adjectifs que je ne connais pas et qui sont si familiers à Pierre Loti.
Bien des choses étranges et pittoresques ont existé autrefois mais aujourd'hui il n'y a plus de traces, tout a disparu. La race disparaît chaque jour disséminée par les maladies européennes ; jusqu'à la rougeole qui a atteint les grandes personnes. Les tracasseries de l'administration, l'irrégularité des courriers, les charges d'argent qui écrasent la colonie, rendent tout commerce impossible. Par suite, les commerçants font leurs malles.
Rien à dire si ce n'est parler des femmes et coucher avec.
Pas mûres, presque mûres, tout à fait mûres.
C'est tellement de la prostitution que cela n'en est pas. Nous le disons, mais eux ils ne le pensent pas.
Or on ne connaît qu'une chose que par le contraire et le contraire n'existe pas.
Un drôle de juge aux Marquises... Une jeune fille vient se plaindre que douze mâles venaient de la violer, sans la payer. C'est affreux s'écria le juge et de suite il fut le treizième, mais il paya. Tu comprends, ma petite, maintenant je ne peux juger cette affaire-là.
Ce même juge, le gendarme était absent, reçut une jeune fille, une enfant pour mieux dire qui venait réclamer son bulletin de sortie de l'école ce qui veut dire, bonne à ...
Mon juge, lui dit c'est bien, donnes m'en l'étrenne, et il dépucela. Maintenant la carte était signée.
Maints détails, croustillants quelquefois, suffiront à vous faire connaître les Marquises beaucoup mieux que les voyageurs. Les voyageurs aujourd'hui voient si peu.
En ce moment l'île de Taoata a été ravagée par un ras de marée épouvantable qui a soulevé des blocs énormes de corail et beaucoup de coquillages pour les collectionneurs.
Avec le corail on fera de la chaux. Les baleiniers qui sont de fins marins voyant leur baromètre faire des farces ont prévu l'accident et sont partis. Non sans laisser au gendarme de très jolis cadeaux. Des pots-de-vin... fi donc... des cadeaux (avec factures !!!).
Que voulez vous, ont dit les capitaines, la contrebande doit être toujours bien avec les gendarmes.
Ceci se passe encore de commentaires.