PAUL GAUGUIN (8)
GAUGUIN, l’homme amoureux
Extrait de NOA NOA
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« Ma femme était peu bavarde, mélancolique et moqueuse.
Nous nous observions l'un l'autre sans cesse, mais elle me restait impénétrable, et je fus vite vaincu dans cette lutte. J'avais beau me promettre de me surveiller, de me dominer pour rester un témoin perspicace, mes nerfs n'étaient pas longs à l'emporter sur les plus sérieuses résolutions et je fus en peu de temps, pour Tehura, un livre ouvert.
Je faisais ainsi — en quelque sorte, à mes dépens et sur ma propre personne — l'expérience du profond écart qui distingue une âme océanienne d'une âme latine, française surtout. L'âme maorie ne se livre pas de suite ; il faut beaucoup de patience et d'étude pour arriver à la posséder. Elle vous échappe d'abord et vous déconcerte de mille manières, enveloppée de rire et de changement; et pendant que vous vous laissez prendre à ces apparences, comme à des manifestations de sa vérité intime, sans penser à jouer un personnage, elle vous examine avec une tranquille certitude, du fond de sa rieuse insouciance, de sa puérile légèreté.
Une semaine s'écoula, pendant laquelle je fus d'une « enfance » qui m'était à moi-même inconnue. J'aimais Tehura et je le lui disais, ce qui la faisait sourire : — elle le savait bien ! Elle semblait, en retour, m'aimer — et ne me le disait point. Mais quelquefois, la nuit, des éclairs sillonnaient l'or de la peau de Tehura. C’était tout. C’était beaucoup.
« II est extraordinaire qu'on puisse mettre tant de mystère dans tant d'éclat » (Stéphane MALLARME, parlant de GAUGUIN, exergue du premier chapitre de NOA NOA)
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GAUGUIN, l’homme libre
Extrait de ??
LIBERATION ET
SACRIFICE
Ce début, toutefois, n'avait rien d'éclatant : c'était des paysages à la suite de Pissarro.
L'année suivante, il exposa une femme nue, dont le réalisme enchanta Huysmans.
Je ne crains pas d'affirmer, disait-il, que parmi les peintres contemporains qui out travaille le nu, aucun n'a encore
donne une note aussi véhémente dans le réel. Et il citait aussi, sans s'y arrêter, une statuette en bois gothiquement moderne, un médaillon en plâtre peint...
Mais, en 1883 (7ème exposition des Indépendants), le critique n'est plus content de 1'artiste qu'il a découvert, et il le gronde : M.Gauguin n'est pas en progrès, hélas !
Que se passait-il donc ? Gauguin avait-il déjà perdu tout talent ?
II se développait, au contraire, mais en s'enrichissant : la formule impressionniste commençait à le gêner, il avait d'autres rêves, et, pour les réaliser, il sentait qu'il devait rompre, non pas seulement avec ses croyances de la veille, mais aussi car ces rêves-la étaient jaloux et n'acceptaient point de partage avec la servitude dorée qui jusqu'alors lui interdisait le travail constant, le plus grand effort, 1'effort absolu.
Sa production ne baissait pas ; elle hésitait au seuil d'une voie nouvelle où les contraintes de la vie ne lui permettaient pas de s'engager. - - Or, il venait
justement de s'évader, en Janvier de cette même année 1883, de la Banque et de la Bourse.
II n'y a qu'un mot pour designer un tel acte : folie ! C'est celui que proférèrent d'une seule voix tous les sages, et 1'événement ne tarda pas à leur donner raison. Gauguin savait ce que vaut la liberté ; il allait apprendre ce qu'elle coute.
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Achevé d’imprimer le quatorze novembre mil neuf cent dix-neuf