PLAIDOYER POUR LES NULS (2)
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PLAIDOYER POUR
LES NULS (2)
Suite de notre feuilleton « Plaidoyer pour les nuls » de Jean-Paul Barral.
Aujourd’hui, nous avons du « Mammouth » au menu de la cantine scolaire…
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Que faire du Mammouth ?
Le système scolaire Français est-il réformable ?
C’est la question récurrente qui se pose en France autour le l’Education depuis de longues années. Cette méga institution de l’Education Nationale hyper centralisée de près de 1,2 Millions de fonctionnaires ressemble à un bloc de fonte posé au milieu de la société et impossible à faire bouger. La comparaison avec un Mammouth a fait les grandes heures d’un ministre qui espérait le « dégraisser » avant qu’il ne soit lui-même renvoyé à ses chères études sur la Physique du Globe.
Car le système est compact, cohérent et fortement implanté dans la
conscience collective des Français. Depuis les pères fondateurs de l’école publique et les hussards noirs qui ont institué la 3ème République, un pacte s’est construit entre la République et son
école et entre les Français et leur école. L’école a longtemps constitué un des éléments fondateur du pacte Républicain une espèce de mémoire sous jacente du consensus national. Il n’est qu’à se
référer à quelques symboles de ce consensus pour en apprécier la force.
Citons le Baccalauréat, rite initiatique résiduel validant le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Examen qui mobilise des ressources financières considérables, des moyens humains importants, qui désorganise la vie de nombreux établissements secondaires et techniques sur une large période de temps, et qui ne sert in fine qu’à autoriser le passage dans le cycle supérieur de plus de 80 % d’élèves de terminale parfaitement identifiés par leurs professeurs au cours de l’année scolaire. Le score de la cuvée 2011 s’établit à 85,6% des inscrits !
Cette réalité est bien établie mais aucun Ministre de l’Education ne s’est risqué à supprimer une telle aberration …. Un consensus social dont nous parlions tantôt ferait descendre dans la rue enseignants, parents et élèves au coude à coude pour défendre une institution vieille de plus de deux siècles et parfaitement obsolète.
Il en va ainsi de pans entiers de notre système scolaire, nous y reviendrons.
Mais les temps changent, le temps passe, et le système Français qui faisait l’admiration de tous les pays au début du 20ème siècle se retrouve aujourd’hui comparé aux autres systèmes éducatifs européens et mondiaux dans une situation médiocre. « Grâce à ses penseurs (Henri Marion, Ferdinand Buisson, Roger Cousinet, Célestin Freinet, Emile Durkheim) la France est devenue pionnière dans le domaine de la pédagogie et ce pendant plus de 150 ans… Au cours de ces trois dernières décennies, il y a eu un autre bond en avant dans les méthodes d’enseignement, mais cette fois ci la France est apparue à la traine ».(1)
En effet l’OCDE publie depuis 2000 des enquêtes tous les 3 ans sur les évaluations des résultats des systèmes éducatifs européens et d’autres pays du monde partenaires de ces enquêtes dites PISA (Programme International de Suivi des Acquis). En 2000 étaient testé les performances en compréhension de l’écrit des jeunes de 15 ans dans le monde. En 2003 les performances des jeunes en Mathématiques. En 2006 les performances en Sciences. Les résultats du système éducatif Français se révèlent médiocres.
Pourtant, depuis des années les constats s’accumulent et ils vont tous dans le même sens. Jeunes lancés dans la vie active sans formation, forte minorité des élèves au CM2 qui entrent en 6ème avec un déficit important en lecture écriture et calcul, persistance de l’illettrisme notamment à partir de la 6ème , échec important des stratégies d’orientation notamment après la 3ème et le baccalauréat, échec croissant des enfants des classes sociales les moins favorisées….. La liste serait longue et nous en parlerons dans la suite.
Pour ce qui concerne notre système éducatif en Polynésie, il souffre bien sûr des tares du système Français dont nous ne constituons qu’un sous ensemble mais ces tares sont aggravées par des contraintes liées à la spécificité des réalités locales :
Géographiques : dispersion des îles sur une surface grande comme l’Europe,
Démographiques : micro communautés insulaires, difficultés de communication
Culturelles : forte majorité de non francophones et présence d’une culture indigène pérenne
Historiques : jeunesse d’un système éducatif dont la démocratisation est récente ;
Depuis 1973 cependant les premières études statistiques que j’ai menées alors, sous l’égide de la Fédération des Œuvres Laïques (2), ont mis en évidence la grande injustice du système éducatif à l’égard de très nombreux élèves Polynésiens, particulièrement polynésianophones et ruraux. Ces documents provoquèrent un véritable séisme dans le monde tranquille de la reproduction des élites et une prise de conscience s’amorçait sur la nécessité de changer l’école en Polynésie. Il fallut attendre 1988 pour qu’enfin un gouvernement se saisisse du problème et mette en chantier une grande démarche de société visant à transformer l’école Polynésienne. Ce fut la démarche de la Charte de l’Education.
Cette démarche rencontra une grande faveur de la part de toutes les composantes de la société Polynésienne et fait encore aujourd’hui figure de référence fondatrice.
Notons également que depuis la mise en place du statut d’autonomie du Territoire en 1984, le Pays se voyait accorder de très larges compétences en matière d’Education. C’est donc dans une perspective institutionnelle favorable que se déroulèrent les travaux de la Charte.
Actuellement la convention du 4 avril 2007 qui lie le Pays à l’Etat fixe le cadre de très large autonomie accordée au Pays dans le domaine de l’Education.
Toutefois, les aléas de la politique locale, les pressions et les diktats des corporations de personnels, les frilosités des hommes politiques aboutirent le 16 juin 1992 au vote par l’Assemblée Territoriale de la délibération N° 99-92 du 16 juin 1992, texte fondateur largement amendé, voire dénaturé du système éducatif Polynésien.
En effet, il convient de dire combien le Syndicat Territorial des Instituteurs de Polynésie était rétif à cette démarche et a tenté toutes les manœuvres dilatoires pour l’entraver. Ma propre nomination en tant que Conseiller Technique pour la Charte de l’Education au Ministère de Monsieur Van Bastolaer a été accueillie par une grève de protestation de la part de ce syndicat.
Au cours de la démarche le syndicat a pesé de tout son poids d’inertie pour que la réflexion de la société civile soit sinon annihilée, mais à tout le moins minorée et corsetée. La pusillanimité du Gouvernement Léontieff a conduit à d’interminables « négociations » avec les syndicats pour dénaturer certaines orientations proposées par la société civile.
Ainsi, loin de constituer une force de proposition et de progrès dans l’intérêt général des enfants de notre Pays, le STIP s’est comporté comme une force politique de conservation du statut quo et de préservation des intérêts catégoriels, pesant de tout son poids d’influence politique sur le Gouvernement Léontieff puis Flosse pour faire prévaloir ses intérêts.
Citons un exemple particulier : celui de la création d’une seule Direction de l’Education et rassemblant la Direction des Enseignements Secondaires et le Direction de l’Enseignement Primaire, dans un souci de cohérence et d’économie de moyens. Cette proposition a été retirée pour préserver le pré carré des instituteurs et le système de cogestion mis en place depuis de longues années. En effet, l’enseignement primaire était en fait sous l’autorité non du gouvernement mais du STIP sous couvert de quelques voiles pudiques pour sauver les apparences. Cette réalité était si patente que la voie royale d’accès au poste suprême de Ministre était jalonnée d’étapes convenues : directeur d’école, Secrétaire Général du STIP, chef de service, Ministre.
En 2010 le Ministre Moana Greig reprenait enfin timidement ce projet de fusion de la DES et de la DEP évacué par le STIP lors des manœuvres de « normalisation de la charte ». Temps perdu : 19 ans !
Il en fut de même de la mise en œuvre de cette charte de l’Education de 1992 pourtant fortement charcutée par le STIP. Ce document fut occulté dans tout le système éducatif. Il s’agissait assurément aux yeux des dirigeants du système éducatif d’une élucubration honteuse. Aucun chef d’établissement, aucun inspecteur ne fut appelé par le Ministre d’alors en poste pendant 12 ans, à la mettre en œuvre avec détermination. Ainsi sommeilla dans les tiroirs ce qui devait être pourtant le texte d’orientation de l’Ecole Polynésienne…..
Comble de cynisme, en 2003 le même Ministre organisait un « Bilan de la Charte de l’Education » présenté en grande pompe à l’Assemblée de Polynésie. Il s’agissait en réalité d’un bilan d’une non-Charte, celle-ci étant restée lettre morte pour l’ensemble des acteurs et des bénéficiaires du système éducatif.
Même escamotage d’une autre des propositions faites par la société civile de créer une Direction de l’Evaluation et de la Prospective nécessaire pour évaluer en permanence des effets des politiques publiques en matière d’Education et pour ouvrir les perspectives. En 2010 enfin était mis en place un embryon de cette structure. Temps perdu : 19 ans.
Depuis lors, c'est-à-dire depuis 19 ans le manque de volonté politique, le manque de vision stratégique, alliés à la pente naturelle du conservatisme, de la reproduction des comportements, des connivences avec les agissements corporatistes, ont abouti il y a deux ans à la remise sur le chantier d’une nouvelle version de la Charte de 92. Cette nouvelle charte de l’Education qui vient d’être approuvée par le CESC dans sa séance du 14 Avril 2011 indique notamment : « les résultats du bilan de la précédente Charte sont largement insuffisants, plus en raison de son application lacunaire que de sa qualité »
Mon propos de conseiller technique du gouvernement qui mit en chantier le 1ère charte, de chef d’établissement honoraire du collège Henri Hiro et de citoyen, est d’attirer l’attention des élus et des producteurs d’éducation, par delà la qualité du travail réalisé depuis 2008 dans le cadre de la reformulation de la nouvelle Charte, sur les dangers de voir se répéter les erreurs commises depuis 19 ans si n’étaient pas traités avec conviction et détermination les problèmes de fond qui seront exposés dans ce mémoire.
1 - Peter Gumbel « On achève bien les écoliers » Grasset Septembre 2010
2 - FOL « L’Ecole en Polynésie – 1973 » et « L’échec scolaire en Polynésie -1975 »