PORT-TARASCON
Une œuvre méconnu d’Alphonse Daudet, auteur des « Lettres de mon moulin »,
« Tartarin de Tarascon », « La chèvre de monsieur Seguin », entre autres…
Port-Tarascon.Dernières aventures de l'illustre
Tartarin
Roman écrit par Alphonse Daudet, paru en 1890.
Commentaire :
Tarascon, mené par le glorieux Tartarin, entreprend de coloniser une île
du bout du monde. Cette conquête se révèle malheureusement plus difficile que prévu, et le mental tarasconnais est bien affecté par les embûches rencontrées...
Inspiré d'un histoire vraie, cette aventure de Tartarin est toujours aussi distrayante et nous procure un vrai rayon de soleil tarasconnais. Pour autant, elle montre un Tartarin désabusé et amer,
abandonné par ses proches.
Un extrait :
Chapitre V
La véritable légende de l'Antéchrist racontée par
le R. P. Bataillet sur le pont du «Tutu-Panpan.»
C'est encore au paradis que je vous emmène, mes
enfants,dans cette vaste antichambre
bleu-de-roi où se tient le grand saint Pierre, son trousseau de clefs à la
ceinture, toujours prêt à ouvrir sa porte aux âmes des élus,
lorsqu'il s'en présente; malheureusement, depuis des années
et des années, l'humanité est devenue si méchante, que les meilleurs, après la mort, s'arrêtent au purgatoire, sans aller plus haut, et que le bon saint Pierre n'a pour toute besogne qu'à passer ses clefs rouillées au papier de verre, et à chasser
les toiles d'araignées tendues en travers de sa porte comme
des scellés de justice. Par moment, il a l'illusion que
quelqu'un frappe. Il se dit:
«Enfin... En voilà un, ce n'est pas trop tôt...».
Puis, son guichet ouvert, rien que l'immensité, l'éternel silence, les
planètes
immobiles ou roulant dans l'espace avec un bruit doux d'orange mûre
détachée de la branche, mais pas l'ombre d'un élu.
Pensez quelle humiliation pour ce bon saint qui nous aime tant, et comme
il
se désole de jour et de nuit, comme il en tombe de ces larmes brûlantes,
dévorantes, qui ont fini par creuser au long de ses joues deux ornières
profondes pareilles à celles qu'on voit sur les routes des carrières entre
Tarascon et Montmajour!
Or, une fois que saint Joseph, venu pour lui tenir compagnie, car à la
longue
il s'ennuyait, le pauvre porte-clefs, toujours seul dans son antichambre, une
fois donc que saint Joseph lui disait pour le consoler:
«Mais, en définitive, qu'est-ce que çà peut te faire que ces gens d'en bas
ne
se présentent plus à ton guichet?... Est-ce que tu n'es pas bien ici,
caressé des plus douces musiques et des odeurs les plus suaves?...».
Et tandis qu'il parlait ainsi, du fond des sept ciels ouverts en enfilade
se coulait
une brise tiède chargée de sons, de parfums, dont rien ne saurait vous donner
l'idée, mes chers amis, pas même ce goût de citronnelle et de framboises
fraîches que l'haleine de mer nous souffle depuis un moment dans la figure,
de ce grand bouquet d'îles roses sous le vent.
«Hé! fit le bon saint Pierre, je ne m'y trouve que trop bien dans ce
paradis de
bénédiction, mais j'y voudrais tous ces pauvres enfants avec moi...».
Et brusquement pris d'indignation:
«Ah! les gueux, ah! Les imbéciles...
Non, vois-tu, Joseph, le Seigneur est trop bon pour ces misérables... Et à
sa
place, je sais bien ce que je ferais.
- Que ferais-tu, mon brave Pierre?
- Té! pardi, un grand coup de pied dans la fourmilière et va te promener
de
l'humanité!»
Saint Joseph hocha sa vieille barbe... Il le faudrait terriblement fort,
tout de
même, ce coup de pied qui démolirait la terre...
Passe encore pour les Turcs, les Infidèles, ces peuplades d'Asie qui
tombent
en pourriture, mais le monde chrétien, c'est calé, c'est solide, bâti par le
fils...
- Justement, reprit saint Pierre... Mais ce que le Christ a bâti, le
Christ pourrait
aussi bien le détruire. Je leur enverrais mon Fils Divin une seconde fois à ces
galériens de par là-bas, et cet Antéchrist qui serait le Christ déguisé aurait tôt
fait de vous les mettre en bourtouillade».
Le bon saint parlait dans sa colère, sans
bien
penser ce qu'il disait, sans se douter
surtout que ses paroles seraient répétées au
Divin Maître, et sa surprise fut grande quand
tout à coup le Fils de l'homme se dressa
devant lui, un petit paquet sur l'épaule au bout
d'un bâton de route, ordonnant de sa voix f
rme et douce:
«Pierre, viens... Je t'emmène.»
À la pâleur de Jésus, à la fièvre de ses grands
yeux cernés qui jetaient encore plus de feux
que son auréole, Pierre comprit tout de suite,
et regretta d'avoir trop parlé. Que n'aurait-il
pas donné pour que cette seconde mission du
Fils de Dieu sur la terre n'eût pas lieu, surtout
pour n'être pas lui-même du voyage! Il
s'agitait, tout éperdu, les mains chevrotantes:
«Ah! mon Dieu... Ah! mon Dieu... Et mes clefs, qu'est-ce que j'en vais
faire?»
C'est vrai que pour une aussi longue route son lourd trousseau n'était pas
commode. «Et ma porte, qui me la gardera?»
Sur quoi Jésus sourit, lisant le fond de son âme, et
dit:
«Laisse les clefs sur la serrure, Pierre... Pas de risque qu'on entre
jamais
chez nous, tu sais bien.»
…………….
La suite sur « Port-Tarascon » d’Alphonse Daudet
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http://www.bookine.net/DAUDETPORT.htm