L'ermite de Papenoo
Dernièrement, un ami me disait :
- Alors l’ermite ! Tu sors jamais de ton trou ? Tu n’aimerais pas aller quelque part ?
- Mais où aller pour être mieux que chez moi ? Chez moi à Papenoo, plateau Atohei, à 50 mètres d’altitude, face au nord et au soleil levant, les nuits y sont fraiches grâce au hupe, les odeurs et les bruits y sont uniques : odeurs de cuisine, de cochons, de fleurs, bruits du vent, de la pluie, des chiens qui aboient, des chants qui montent du temple en bas dans la plaine côtière, du bruit de la mer aussi, du vieux truck qui peine à monter la côte… Enfin de la vie, quoi !
Là, tout n'est que désordre et contraste,
Parcimonie, exubérance et ascétisme. (source : Baudelaire modifié 😊 )
Le jardin est affolé, broussailleux, sauvage ; Derrière des branches mortes et des feuilles fanées, des trésors apparaissent, des poules s’enfuient en caquetant. Les oiseaux ne sont pas gênés de ce désordre, au contraire, ils jouent, se bagarrent, se nourrissent, s’aiment. Tous les soirs à la tombée du jour, je surveille un couple de u’upa sur le ylang-ylang, ce sont les derniers survivants de la société de consommation.
Rose de porcelaine
Et puis, dans ma hutte, à l’étage, il y a des livres sur les étagères, des disques en quantité, des CD et autres DVD et tout ce nouveau matériel qui ouvre une fenêtre vers le monde. Sur les murs, des photos d’artistes, des tableaux (ou plutôt des reproductions ), des cartes postales et autocollants se disputent la place, vieux souvenirs de mes « batailles ». Dans un coin, sagement, roupille une guitare dont je n’ai jamais su me servir, mais aussi deux claviers qui, grâce à l’aide de l’ordinateur, me font rêver « j’aurais pu être un artiste… ».
Enfin, un grand lit toujours défait et prêt à m’accueillir…
Voici des tapis d'ambition
Voici des tentures de rêve
Voici qu'un rideau se soulève
Sur un chevalet d'illusions
Voici des coussins de serments
Couvrant des fauteuils de promesses
Et puis des colliers de tendresse
Et des bouquets de sentiments
Voici le mirage de l'Art
Voici des songes en rasades
Le divan de Schéhérazade
Et le clavecin de Mozart.
(La chambre – R.Baer)
Il y a aussi le petit fare, au milieu de la verdure, avec son vieux sommier pour de petites siestes au moment de la grosse chaleur de la mi-journée. Avec son fauteuil et son petit bureau devant la fenêtre, d’où l’on aperçoit au travers des opuhi et oiseaux de paradis… le bleu de l’océan. Je me laisse aller à la rêverie.
Et tu voudrais que j’aille ailleurs ? Là, où il y a des voitures, du bitume, des immeubles ou alors des îles perdues, minuscules, où tout le monde se connait et se surveille, où il n’y a que du sable et de l’eau, où je ne pourrai pas trouver le dernier CD de Keith Jarrett, où je ne dégusterai pas des pizzas aux anchois et aux câpres,….
Non, je suis très bien à Papenoo !
Enfin, hum !….. J’essuie une larme…
Quand reverrai-je, hélas! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison...
(Du Bellay)
Les Junies, Lot - village de ma mère
Un peu trop loin, je n’ai plus le courage de remonter à la source.
Dernièrement, ma petite fille a rallumé le feu dans la vieille cheminée, la relève est assurée.
Je peux aller dormir tranquille…
Ah, j’oubliais… Il y a aussi le rez-de-chaussée de mon cabanon : La cuisine, bien sur, avec son fouillis, ses odeurs d’huile d’olive, de poisson cru, de uru cuisant sur le réchaud et de… cassoulet. Mais ce qui me plait le plus, ce sont ces quantités de paniers, de chapeaux, de tressages, de colliers, de robes, de robes, de robes, une pièce remplie de robes, un vrai musée, Dior peut aller se rhabiller…
Et ma petite chienne Ina Ina, surnommée Foldingue et mon chat Rouquinas, feignant, toujours affamé, bagarreur. Que deviendraient-ils sans moi ? …
Heu !!! et Maiarii, ma compagne depuis 48 ans… ça laisse des traces.
Notes :
Hupe, vent de la montagne.
U’upa, pigeon forestier au plumage vert.
Fare, maison.
Opuhi, fleur (amonum cevuga).
Uru, fruit de l’arbre à pain.
(Code recherche : DIVPAP)