Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime, Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cœur, transparent Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore. Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Pensionnaires
L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize ; Toutes deux dormaient dans la même chambre. C'était par un soir très lourd de septembre Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise.
Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise, La fine chemise au frais parfum d'ambre. La plus jeune étend les bras, et se cambre, Et sa sœur, les mains sur ses seins, la baise,
Puis tombe à genoux, puis devient farouche Et tumultueuse et folle, et sa bouche Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises ;
Et l'enfant, pendant ce temps-là, recense Sur ses doigts mignons des valses promises, Et, rose, sourit avec innocence.
Compagne savoureuse et bonne
Compagne savoureuse et bonne À qui j'ai confié le soin Définitif de ma personne, Toi mon dernier, mon seul témoin, Viens çà, chère, que je te baise, Que je t'embrasse long et fort, Mon cœur près de ton cœur bat d'aise Et d'amour pour jusqu'à la mort : Aimes-moi, Car, sans toi, Rien ne puis, Rien ne suis.
Je vais gueux comme un rat d'église Et toi tu n'as que tes dix doigts ; La table n'est pas souvent mise Dans nos sous-sols et sous nos toits ; Mais jamais notre lit ne chôme, Toujours joyeux, toujours fêté Et j'y suis le roi du royaume De ta gaîté, de ta santé ! Aimes-moi, Car, sans toi, Rien ne puis, Rien ne suis.
Après nos nuits d'amour robuste Je sors de tes bras mieux trempé, Ta riche caresse est la juste, Sans rien de ma chair de trompé, Ton amour répand la vaillance Dans tout mon être, comme un vin, Et, seule, tu sais la science De me gonfler un cœur divin.
Aimes-moi, Car, sans toi, Rien ne puis, Rien ne suis.
Qu'importe ton passé, ma belle, Et qu'importe, parbleu ! le mien : Je t'aime d'un amour fidèle Et tu ne m'as fait que du bien. Unissons dans nos deux misères Le pardon qu'on nous refusait Et je t'étreins et tu me serres Et zut au monde qui jasait ! Aimes-moi, Car, sans toi, Rien ne puis, Rien ne suis.