LES LARBINS
Non, je ne vais pas vous parler de ces gens que nous connaissons bien, qui, au prix de quelques contorsions intellectuelles, se mettent au service de ceux qui détiennent provisoirement le pouvoir, afin de grappiller quelques subsides conséquents.
« Larbin » est devenu un terme péjoratif désignant un homme servile, pourtant ce fut une profession reconnue et, très souvent, comprenant des personnalités compétentes.
Voici leur histoire proposée par notre historien-maison et ami, Claude Saint Etienne.
----------o----------
Larbins, domestiques et
valets
(Extrait de « Histoire anecdotique des métiers avant 1789 » d’Henri BOUCHOT)
L'origine de cette profession remonte certainement à l'époque
lointaine de l'esclavage, puis celle du servage.
A l'époque féodale vers le XIII/XIVème siècle, les bourgeois avaient en général un domestique. Généralement des gages au plus bas sur le marché du travail. Sa tache le conduisait de la cuisine
aux chambres sans oublier l'écurie. Il était employé à l'année et était logé sur place.
"pris pour estre serviteurs domestiques, pour servir à l'année et demourer à
l'ostel.... aucuns n'est qui voulenstiers ne quière besongne et maistre"
Un certificat, cela semble impensable pour l'époque, mais est une réalité. Un certificat donc, était exigé pour tout serviteur
cherchant à se louer dans une maison bourgeoise. Le ménagier étant moins regardant pour les manœuvres ou les employés spécialisés car ceux-ci ne sont
engagés que pour de très courtes durées. Mais pour les engagements de longues durées il lui faut s'inquiéter d'ou viennent ces gens, quelles raisons bonnes ou mauvaises leur ont fait quitter
leurs maîtres. Il y avait même un mode de livrets d'états de service, de conduite. Outre cela, le maître faisait subir un examen moral... Le texte ci-dessous laisse supposer que cet examen était
un peu spécieux quant aux sujets abordés.
"Se vous prenez chambrière ou valet de haultes responses et
fières, sachiez que au départir s'elle peut elle vous fera injure.
Et se elle n'est mie telle, mais flateresse et use de blandices, ne vous y fiez point, car elle bée en aucune autre partie à vous de trichier. Mais si elle rougist et en taisant et vergongneuse
quant vous la corrigerez, amez la comme vostre fille".
En général les gens de revenus modestes n'avaient qu'une bonne faisant la
cuisine et le balai, c'est même par là que la chambrière doit commencer sa journée, nettoyer les pièces "par ou les gens entrent et s'arrestent en l'ostel
pour parler".
Puis une fois ce travail effectué, elle passe aux soins des animaux "Pour ce vous devez parler et penser pour eulx, se vous en avez".
Une petite note à l'intention du maitre quant à la surveillance des feux, "Veillez aux valets qu'ils
éteignent leur chandelle en se mettant au lit et ne le fassent point après, comme font souvent des serviteurs peu soigneux, qui écrasent la flamme en jetant de loin leur chemise
dessus".
La manière de langage nous montre les relations maitres/valets à
cette époque.
- Jasnyn, (dit le maître), mettez la table
tost, car il est hault temps d'aler dyner.
- Voulantiers, mon seigneur (Et il court
étendre la nappe, mettre les salières, les verres, le pain et le vin "vermeille claret et blanc bien gracious et aimable à boire").
Parfois le valet traîne et baille aux corneilles.
- Jasnyn, dors-tu ?
- Nonil, mon seigneur
!
- Que fais-tu doncques ?
- Mon seigneur, s'il vous plaist, je
songe
Si
le valet a reçu l'ordre d'éveiller son maître tôt le matin et s'est endormi, il en reçoit de sérieux reproches....
- Que ne m'as tu réveillé bien matin comme je te commandoi hier soir
?
- Mon signeur, par mon serment, si saisoi-je.
- Hé! tu ments faussements parmi la gorge.
Quelle heure est-il maintenant?
- Mon signeur, il n'est que bien matin encore.
- Ore lève toy ! (Et le valet saute du lit
qu'il a dressé près de celui de son maître puis apporte vite la hoppelande et la cuvette avec l'aiguière pour la toilette)....
A la fin du XIVème avec les voyages sur mers des Espagnols et des
Portugais, l'enrichissement gagne la France. Le luxe pénètre les maisons. A la renaissance chaque maison rivalise avec les autres. Pour le faste du service la domesticité est tant multipliée à
outrance que leurs laquais ne se comptaient plus. La spécialisation se fait jour, un seul travail, toujours le même. Le cocher n'est plus le palefrenier et l'argentier rougirait de servir à
table.
A la fin du XVIème siècle il s'en suivit un tel relâchement qu'un édit
interdit aux laquais de quitter leur maître sans son congé. Cette caste devenait autant "nuisible" qu'indépendante et surtout volage. Malgré cela on en avait pas assez, on voulut les empêcher de
se marier sans le consentement de leur maître sous peine de perdre leurs arriérés de gages chez lui (formariage de l'époque féodale, mariage des serfs hors domaine). Les laquais plus malins se
firent payer leurs arriérés puis se marièrent en toute tranquillité et sans crainte.
En 1601, les valets de ferme prétendent à plus et font grève (eh! oui, en 1601, c'est l'Histoire qui le dit), Ils réclament un salaire double et la
journée moindre, le prévost de Paris dut les taxer de 8 sous en été et de 6 en hiver.
Ce n'est qu'au XVIIème siècle que le laquai fripon est arrivé....
Considérés comme "détestable engeance" ces laquais sont sans fois ni loi, effrontés et de mœurs douteuses. La Maltôte des cuisiniers, citée par M.
Nisard dans la revue de l'instruction publique, s'écrie en parlant aux chambrières du droit qu'on appela "l'anse du panier".
Rôtisseurs, épicier, chandelier, tout vous doit.
De porter le panier ne soyez pas honteuse,
Et faites-vous payer le droit de la porteuse.
En 1663, la quantité des laquais était telle, et leur
insolence alla tellement loin , qu'une ordonnance obligea 20 000 d'entre eux à sortir de Paris. Chassés par les portes ils rentrèrent par les fenêtres, 5 ans après tout était à refaire, ils se
réunissaient à l'entrée de la foire St Germain, portaient batailles et bien souvent tuaient les gens paisibles. Ils étaient épargnés, on ne sait pour quoi, des charges si lourdes de la capitation
et autres redevances financières qui ruinaient l'ouvrier.
Ce qui est surprenant venant de la part de cette corporation de marginaux, réside dans la naissance d'un sentiment de manque d'égalité avec le
peuple. Ils se plaignirent et ne voulurent pas rester à part du reste des Français, provoquèrent des réunions, revendiquèrent et déposèrent en haut lieu des requêtes... Tant et tant que le roi en
1695, leurs reconnu leur qualité d'homme et de Français les soumis à l'impôt comme les autres citoyens.
Mais ils se gardèrent bien de préciser dans leurs récriminations qu'ils étaient aussi titulaires du privilège de milice, et se gardèrent bien de le
porter à la connaissance du roi ce qui leur évita d'aller se faire tuer sur les champs de batailles royaux.
Plus tard en 1743, le peuple, lors d’émeutes de la classe populaire, outré de voir ces gros et gras valets échapper à la conscription, le
rappellera au roi.
De 1720 à 1724 les accidents, les vols, les incivilités
journalières et le relâchement amenèrent l'autorité à faire une ordonnance réglementant sévèrement les agissements de cette gent très particulière. La création d'un livret individuel et
obligatoire, sur lequel les maîtres porteraient leurs observations. Les peines deviennent d'une excessive rigueur. Le vol domestique puni de mort.
Brantôme rapporte le fait d'un petit marmiton qui avait dérobé le couvert en argent de son maître, condamné à mort, la dernière heure venue,
précipita méchamment bas de l'échelle un vénérable prêtre, lequel l'exhortait à bien mourir....
En 1778 une autre ordonnance
- Obligea les domestiques à présenter à leur nouveau maître en plus du livret, un certificat de l'ancien maître.
- Nul valet ne peut porter faux nom ou cacher son ancienne adresse.
- Il est interdit à tout valet de louer une chambre à l'insu de son maître.
- Sont réputés vagabonds les domestiques restés un mois sans place...
Avant la révolution tout recommença, la foule des laquais des
hôtels somptueux se répand dans les cours et les pas des portes, bayant, fumant, insultant les passants, le domestique bourgeois continue à faire danser l'anse du panier et trop souvent à mal
servir.
La loi du 24 Juin 1793, peut être considérée comme la déclaration de base des droits
actuels pour les bonnes et maitres d'hôtels.
"Tout homme peut engager ses services, son temps, mais il ne peut se vendre
ni être vendu. La loi ne reconnaît point de domesticité. Il ne peut exister qu'un engagement de soins et de reconnaissance entre l'homme qui travaille et celui qui
l'emploie".
----------o----------
« Un peuple libre n'acquitte que des contributions, un peuple esclave paie des impôts » (Anonyme – Extrait de Acte de l’Assemblée Nationale – 1789)
Merci Wakrap pour cette citation...